Depuis plusieurs années, l’Association des Pompiers de Montréal (APM) mène des recherches liées à la prévention et à la reconnaissance des risques de cancer en tant que maladie professionnelle chez les pompiers.
À l’aide de son fonds d’aide au développement du milieu, la Caisse Desjardins du Réseau municipal a alloué 75 000 $ en l’espace de 3 ans aux recherches de l’Association qui ont un rôle crucial sur la santé et la sécurité des pompiers. Au-delà de la santé financière de ses membres, notre caisse de groupes est heureuse de pouvoir contribuer à ce projet porteur qui a des retombées directes sur le quotidien des pompiers et de leurs familles.
Afin de mettre en lumière les impacts des recherches entreprises, Chris Ross, président de l’Association, a répondu à quelques questions.
Pourquoi l’Association des Pompiers de Montréal a entrepris un projet de recherches pour examiner les risques de certaines maladies associés au métier de pompier?
Reconnaître un risque est souvent compliqué et cela prend du temps. Nous n’avons qu’à regarder combien de temps il a fallu pour qu’il soit facilement accepté que les produits du tabac causaient le cancer. Bien qu’ils fassent partie des professions les plus étudiées, les pompiers souffrent du fait qu’ils ne représentent relativement qu’une infime partie de la population.
Aujourd’hui, le cancer représente la plus grande menace pour nos membres et au cours des prochaines années, il sera responsable de la mort d’un plus grand nombre de nos membres que toute autre cause de notre histoire.
Notre association poursuit deux objectifs dans le cadre de ces recherches: la prévention en plus de la reconnaissance et des indemnisations. Nous devons réaliser que pour beaucoup de nos membres, y compris ceux qui sont à la retraite, les principales expositions ont déjà eu lieu. Lorsqu’on parle de prévention, on se concentre largement sur ceux qui sont embauchés aujourd’hui.
Nous nous intéressons principalement à deux éléments; la limitation de l’exposition aux contaminants ainsi que l’élimination des contaminants. Notre profession nécessite une exposition, car il n’y a tout simplement aucun moyen de faire notre travail sans un certain niveau de contamination.
Quelles précautions ont été mises de l’avant pour prévenir les risques de cancer à Montréal?
Nous avons travaillé conjointement avec le SIM pour mettre en place de nouvelles procédures, dont l’une comprenait l’utilisation de lingettes jetables pour nettoyer notre peau sur les lieux d’une intervention. Celles-ci sont devenues de plus en plus populaires et ont créé un tout nouveau marché de produits commercialisés directement auprès des pompiers.
L’un des projets en cours a financé des travaux réalisés avec l’Université d’Ottawa pour mesurer le niveau de contaminants dans le sang et l’urine des pompiers après une intervention. L’appui de Desjardins nous a permis de financer des travaux de longue haleine pour mesurer l’efficacité de diverses lingettes et procédures et mesurer l’impact sur le niveau de contaminants absorbés par la peau.
La présente étude a permis de déterminer que les divers produits commerciaux étaient relativement inefficaces pour éliminer la contamination lorsqu’ils sont mesurés au niveau de la peau. Le savon et l’eau sont la meilleure solution pour réduire considérablement tous les contaminants mesurés.
Malgré l’efficacité relative des différentes méthodes, celles-ci n’ont pas d’impact sur les niveaux de contaminants détectés dans le sang et dans l’urine. Ces données suggèrent donc que malgré les tentatives précoces de décontamination sur le site pour éliminer les contaminants de la peau des pompiers dès que possible, il ne réduit pas la dose globale reçue.
Nous étudions actuellement ces données afin de développer des procédures ou des produits qui pourraient fonctionner.
Reconnaissance et indemnisation
Nous devons accepter que plusieurs de nos membres continuent de recevoir un diagnostic de cancer et que certains meurent de cette maladie. Notre priorité est de faire en sorte que ces maladies soient reconnues comme étant en corrélation directe et liées au travail de pompier. Cela permet à nos membres ainsi qu’à leurs familles de recevoir la compensation financière et le soutien qui sont offerts à tous les travailleurs blessés dans l’exercice de leurs fonctions.
Selon vous, qu’est-ce qui peut encore être amélioré en termes de recherches ou de prévention?
Nous avons encore beaucoup de travail à faire. Nos études les plus récentes démontrent que les procédures de prévention les plus courantes mises en place ont des résultats discutables et sont probablement que la simple commercialisation des produits et de promesses.
En ce qui concerne l’indemnisation, bien que nous ayons fait de grands progrès, même si la nouvelle loi est adoptée, elle ne reconnaîtra que 50 % des cancers reconnus en Ontario.
« Notre travail au cours des 10 dernières années nous a permis de faire reconnaître 48 décès liés au travail et de retourner près de 12 millions de dollars en indemnités à nos membres et à leurs familles. »
– Chris Ross, président de l’Association des Pompiers de Montréal
À savoir
Jusqu’à récemment, le Québec était la seule juridiction au Canada sans une législation qui reconnaît spécifiquement le risque de cancer pour les pompiers. Bien que nous ayons eu une reconnaissance administrative de 6 cancers en 2016, elle n’avait pas le poids et les avantages d’une reconnaissance législative, et elle ne reconnaît pas l’ensemble des cancers qui sont reconnus ailleurs.
La modification d’une loi est un processus long et compliqué qui nécessite une bonne dose de lobbying au niveau politique. Ce lobbying doit être étayé par des faits et la science. Bien qu’il existe un grand nombre d’études sur les cancers et les pompiers, elles s’étendent sur des décennies et, individuellement, elles ont une valeur limitée, car elles comparent un petit échantillon de pompiers.
Avec seulement 350 000 pompiers en Amérique du Nord, il est difficile de démontrer le risque face à une poignée de cas et de bien évaluer les résultats d’une manière ou d’une autre.
C’est là que notre travail continu avec le Docteur Guidotti a été déterminant. Le Docteur Guidotti a préparé une revue de la littérature qui combine la logique des différentes études et, plus important encore, qui interprète les résultats non seulement individuellement, mais collectivement. Ce faisant, il peut souligner les forces et les faiblesses de chacun et comment elles contribuent à sa conclusion.
Les résultats de ce projet ont permis de déposer un mémoire détaillé lors des commissions parlementaires sur le projet de loi 59 comparant notre système à celui de l’Ontario et démontrant pourquoi chacun des cancers de l’Ontario devrait être reconnu au Québec.
Récemment adoptée, la loi 27 reconnaît officiellement les 6 cancers administratifs de 2016 et ajoute le cancer de la peau et de la prostate à la liste. À l’origine, le plan du gouvernement était de limiter le cancer de la prostate aux moins de 50 ans, mais l’étendue des présentes recherches a pu convaincre le gouvernement du Québec d’éliminer la condition de l’âge.